Méduse décapitant Persée, un magnifique renversement de valeurs.
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Par un beau matin d’été, Méduse, dont le nom signifie « la Protectrice », se trouvait dans le temple d’Athéna. Elle avait décidé de rendre hommage à la Déesse de la Sagesse. Alors qu’elle approchait un bâtonnet d’encens de la flamme d’une bougie, elle sentit une présence derrière elle.
Elle se retourna et vit un homme. Celui-ci était sans âge. Il arborait la longue chevelure et la longue barbe blanc-gris des patriarches et des sages. De forte stature, il pouvait impressionner. Méduse fit un pas en arrière reconnaissant l’être qui lui faisait face.
— Seigneur Poséidon ? Que…
Le Roi Dieu ne dit rien, il se jeta sur elle. Elle hurla.
— Non ! Pitié !
Mais il resta sourd à ses supplications, insensibles à ses ongles qui lui labouraient le visage. Balayant les objets du culte, il la prit violemment sur l’autel d’Athéna. Elle appela en aide la déesse mais celle-ci ne se manifesta pas.
Lorsqu’il se fut retiré et qu’il l’eut laissé à terre, les vêtements déchirés, couvertes d’ecchymoses, elle hurla sa rage !
— Poséidon, je te maudits ! Et toi aussi déesse Athéna, tu n’es pas venue à mon secours !
Une voix féminine et froide retentit dans son dos.
— Pourquoi l’aurais-je fait ?
Elle se retourna, grimaçant de douleur alors que sa peau meurtrie touchait le sol de marbre froid.
— Parce que je suis l’une de tes servantes, Ô déesse !
— Je ne te reconnais pas comme telle !
Le coup fut redoutable, presqu’aussi violent que le viol quelques instants plus tôt.
— Mais… Pourquoi ?
— Ne vois-tu pas que tu as provoqué ton malheur ?
— Quoi ?
— Ne vois-tu pas comment tes vêtements mettent tes formes en valeur ? Comment ta beauté insolente a provoqué le Roi des Océans ? Je le répète, tu es seule responsable de ce qui t’arrive… pire que cela, tu as offensé les dieux.
— Quoi ? Mais pourquoi ?
— Poséidon devra porter sur sa conscience ce qu’il vient de te faire subir, sans compter que tu as souillé mon temple…
— Mais, c’est faux ! Je ne suis en rien responsable !
La déesse la regarda d’un œil mauvais.
— Pour tout cela, je vais te punir !
Une colère immense submergea Méduse qui se leva et fit face à la Déesse. Ses vêtements déchirés, sa peau qui bleuissait ou saignait par endroit ne diminuait en rien la rage qui l’habitait en cet instant.
— Tu es la déesse de la Sagesse mais tu n’es en rien « Sage ». Tu es simplement soumise à l’Olympe, tu es la poupée de Zeus et de Poséidon. Tu n’es qu’une lâche !
A son tour Athéna fut pris de colère.
— Pauvre chose pathétique, pauvre femme insoumise, tu vas payer.
La déesse tendit la main vers la jeune femme qui sentit ses os se disloquer, sa peau se friper, ses cheveux se changer en serpent venimeux.
— Ainsi tu es châtiée Méduse ! Tu seras à tout jamais un objet de honte, tu jetteras l’horreur dans le regard et le cœur des hommes !
Et dans un grand déchirement, le corps de Méduse se couvrit d’écailles de serpent et ses jambes devinrent pareilles au corps d’un grand python. On la découvrit et on la jeta dans des ruines isolées, loin du monde des hommes. Plus tard, le héros Persée la décapitera pour utiliser son pouvoir de pétrification contre le Kraken, énergie primale et sauvage, donc féminine dans la tête des anciens. Le Patriarcat retourne la puissance féminine contre elle-même.
Le mythe de Méduse est saisissant d’actualité. Car depuis ces temps anciens où le patriarcat a étendu ses griffes sur le monde, très peu de choses ont changé. Dans de nombreux pays, dans de nombreux systèmes de justice, y compris ceux des démocraties occidentales, une femme qui est agressée sera tenue pour responsable de son agression.
« Tu ne devais pas te trouver à cet endroit », « Tu étais mal habillée », « Tu as provoqué »… Tous les prétextes et baratins sont bons pour entretenir les vieux schémas de domination.
#Meetoo a initié un retournement de situation. Et bien que les choses n’ont pas encore changé en profondeur, une profonde cassure s’est installée avec des millénaires d’injustices.
Car aujourd’hui, nous sommes nombreux à penser que la honte doit changer de camp et que le coupable doit être appelé « coupable ».
Cela a été très bien compris et exprimé par l’artiste Luciano Garbati qui vient de réaliser l’extraordinaire statue « Méduse portant la tête de Persée ». Cette statue sera exposée du 13/10/2020 au 30/04/2021 devant le centre Saint Lower à Manhattan, non loin de la cour où s’est tenu le procès Weinstein. Comme le dit l’artiste : « Mon œuvre fait écho au « Persée tenant la tête de Méduse » de Benvenuto Cellini (1545-1554). Je voulais poser la question suivante : Méduse est la victime dans l’histoire, comment peut-on célébrer la défaite d’une victime ? ».
On ne peut que saluer l’œuvre de cet artiste, tant pour sa valeur esthétique que pour la force du symbole.